17.
Ce matin-là, Arch Carroll prit un vol de la compagnie People Express à destination de Miami. L’expérience ne fut pas précisément des plus plaisantes.
Les membres de l’équipage étaient jeunes et inexpérimentés. Ils pouffèrent de rire durant la présentation des consignes de sécurité. Ils proposèrent des viennoiseries sous cellophane pour un dollar.
Le premier indice concernant le mystère Green Band avait émergé rapidement. Presque trop rapidement, selon Carroll. Il avait personnellement mis le doigt sur cette piste la veille au soir et s’était empressé d’embarquer sur le premier vol pour la Floride afin d’en apprendre davantage.
Il ouvrit les yeux et observa deux hôtesses qui, au bout de l’allée, chuchotaient avec des airs de conspiratrices. Plus tard, environ à la moitié du vol de deux heures quarante, il se leva avec lassitude et se rendit d’une démarche traînante aux toilettes.
Dans cet avion qui avait décollé de très bonne heure, tous les passagers semblaient déprimés ou sonnés, comme s’ils s’étaient levés beaucoup trop tôt et que leur organisme n’avait pas eu le temps de s’adapter. Plusieurs hommes d’affaires lisaient des journaux dont les gros titres commentaient gravement l’attentat de Wall Street.
Dans les toilettes, Carroll prit de l’eau au creux des mains et s’en aspergea les yeux. Puis il sortit un tout petit étui en plastique rouge de la poche de son pantalon.
Pendant sa maladie, Nora s’était servie de cette boîte à pilules pour y ranger sa dose quotidienne de Valium et de Dilantin, ainsi que quelques autres médicaments qui lui avaient été prescrits pour l’aider à enrayer les crises. Carroll avala un petit comprimé jaune – un léger stimulant censé lui permettre de tenir le coup.
Il aurait préféré un verre d’alcool. Un bon whisky irlandais. Un double bloody mary. Mais il avait promis à Walter Trentkamp, en le quittant, de mettre la pédale douce.
Il fixa son visage dans le miroir embué des toilettes de l’avion. Tout en examinant ses paupières gonflées et les poches violacées qu’il avait sous les yeux, il songeait à Green Band. S’agissant de terroristes et de leurs spécialités respectives, la mémoire de Carroll était infaillible. Il avait passé toute sa première année de service au sein de la DIA à répertorier les activités des plus célèbres groupes terroristes. Et il avait bien retenu les informations apprises à l’époque.
Les preuves tangibles dont ils disposaient jusque-là suggéraient… quoi ? Peut-être une action des services secrets soviétiques ? Mais dans quel but ? Kadhafi, alors ? Il y avait peu de chances. La patience indubitablement requise pour mener l’opération de Wall Street à terme ne concordait pas avec les méthodes généralement employées dans les pays du tiers-monde.
Les Cubains ? Non. Les membres de l’IRA provisoire ? Guère vraisemblable. Des révolutionnaires américains enragés ? Improbable.
Qui alors ? Et surtout, pourquoi ?
Et en quoi le dernier rapport de la police de Palm Beach avait-il un rapport avec ces événements ?… La veille des faits, un trafiquant de drogue du sud de la Floride avait parlé de l’attentat de Wall Street. Le truand avait même prononcé le nom de code inconnu, jusque-là ignoré du grand public : Green Band !
Comment était-il possible qu’un dealer de Floride fût au courant de l’existence de Green Band ?
Comme tout le reste, à ce stade de l’enquête, rien dans tout ceci ne semblait très logique. En outre, cela ne semblait mener en aucun lieu où Arch Carroll aurait souhaité aller. Il n’avait clairement pas la moindre envie de se retrouver dans le sud de la Floride à une heure aussi matinale.
Il se frotta les yeux, s’aspergea encore le visage d’eau froide et s’inspecta de nouveau dans la glace. Un vrai mort vivant. Son reflet lui évoquait les photos illustrant les avis de recherche placardés dans les postes de police, dont on avait toujours l’impression qu’elles avaient été prises sous un faible éclairage.
Carroll se détourna du miroir. L’avion ne tarderait pas à atterrir au pays féerique du jus d’orange, de Disney World, des trafiquants de drogue multimillionnaires… et, avec un peu de chance, de Green3 Band.